Que signifie être genevois, au 21ème siècle ? Que signifie être citoyen au 21ème siècle ? Que signifie être artiste au 21ème siècle
Ce sont les questions que j’ai en tête, alors que je dévale les escaliers de la Bibliothèque de Genève, les bras chargés de lourds livres reliés de rouge. Depuis quelques mois, ces interrogations tournent dans ma tête, comme les pages des recueils qui s’accumulent sur la table de mon salon.
Pourquoi cette longue quête ? Pourquoi cette lecture ininterrompue et fiévreuse ? Moi qui n’aime rien moins que les discussions théologiques, je lis Calvin, jour après jour, je l’écoute m’expliquer pourquoi les hommes sont des vers de terre. Au cœur d’une controverse entre les écrits d’un historien qui dit que et celui qui dit que non pas du tout et un troisième qui explique que oui, mais de toutes façons, en fonction du contexte, on peut dire que et en même temps pas du tout, combien de fois ai-je eu envie de tout envoyer balader ?
Et pourtant, je continue. Malgré le printemps qui commence, malgré le vent doux qui a fait sortir les étudiants sur les pelouses du Parc des Bastions. Les livres calés au mieux au creux des bras, je profite du soleil qui inonde et me dirige vers le Mur des Réformateurs, adossé aux remparts. Enfant, je n’aimais pas ce mur. Les statues me faisaient peur. Aujourd’hui, je ne l’aime toujours pas, mais ce qui m’étonne à chaque fois que je passe devant, c’est de trouver les statues moins grandes que dans mon souvenir. Elles ne sont plus aussi écrasantes. Je les trouve même un peu ridicules les quatre bonshommes de pierre épinglés contre le mur et chapeautés de barbelés. Est-ce qu’il y a beaucoup de statues sur la terre que l’on soit obligé de protéger avec des grillages et des barbelés ? Nos grands hommes sont si démunis que l’on doit veiller à la sécurité de leurs effigies… Oui, ce mur est ridicule, avec ses inscriptions en néerlandais introduites dans l'espoir d’obtenir un peu d’argent hollandais pour payer sa construction. Ils n’ont pas marché : ils sont bien ces hollandais.
Je m’approche en zigzaguant parmi un groupe de touristes qui mitraillent à l’appareil photo les Réformateurs. Je lève la tête vers le « père de ma cité » et je souris. J’ai compris. J’ai compris pourquoi je suis là, pourquoi je pense et j’agis. La statue me regarde elle aussi, sous son fard. Car la statue a rougi. Comme moi, depuis que j’entends ce que l’on me donne à entendre, depuis que je subis les arguments publicitaires d’une église qui veut vendre du chocolat à la gloire de la théologie calviniste. Oui, j’ai eu honte de savoir que l’on se fichait de moi à ce point-là, que l’on se fichait des faits historiques et qu’il était possible au 21ème siècle, à Genève, de fêter un fanatique religieux et de réécrire l’histoire, tout en pensant que les habitants de cette ville seraient assez passifs pour laisser faire sans rien dire. J’ai eu honte d’être prise pour un mouton. Un employé de la Ville de Genève viendra discrètement nettoyer la statue de Calvin sur laquelle un facétieux a versé un peu de peinture rose à travers les barbelés, mais il en faudra plus pour enlever le rouge de mes joues.
Un genevois du 21ème siècle est un individu libre et pensant. Un citoyen du 21ème siècle est un héritier de tous ceux qui avant lui et pour lui se sont battus pour les libertés dont il jouit aujourd’hui. Un artiste du 21ème siècle est une personne qui a le droit et le devoir d’exprimer ce que son époque lui inspire.
Ces réponses ne sont pas des vérités. Elles ne sont que ce que je pense et elles sont la raison d’être du projet citoyen Castellion 2015 et du projet artistique Je proteste.
Nejda, Genève, mai 2009